À la Sacem, la CFDT veut ouvrir la gouvernance aux représentants salariés

À la Sacem, l’équipe CFDT se bat pour faire entrer des représentants de salariés au conseil d’administration. Les obstacles, avant tout juridiques, sont nombreux. Mais la détermination de l’équipe pour faire avancer ce principe de démocratie sociale est intacte.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 04/06/2024 à 14h00

Laurent Boulanger est délégué syndical CFDT de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.
Laurent Boulanger est délégué syndical CFDT de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.© DR

1. Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

« Les salariés aussi participent à créer de la valeur pour l’entreprise. Pourquoi ne participeraient-ils pas aux décisions ? » Cette question, Laurent Boulanger, délégué syndical de la Sacem1 la pose inlassablement. En interne comme à l’extérieur de l’entreprise, auprès des experts, des journalistes ou des députés qu’il n’hésite pas à solliciter. Parce que cet état de fait lui semble profondément injuste et inéquitable, il a décidé, avec la section, d’en faire un cheval de bataille.

Ce qu’implique le fait d’être une société civile

Dans cette institution créée en 1880 et chargée de collecter, répartir et valoriser les droits d’auteur, la situation est telle qu’elle empêche la nomination de représentants salariés au conseil d’administration. Pour l’heure, au sein de ce dernier, seuls siègent des représentants de la direction et des 210 800 sociétaires (uniquement des auteurs, compositeurs, interprètes et éditeurs de musique). Il n’y a rien pour les 1 300 salariés qui participent pourtant largement à faire tourner la boutique.

Alors pourquoi ? Après tout, la Sacem semble remplir les conditions fixées par la loi Pacte du 22 mai 2019 pour la présence d’administrateurs salariés – notamment le seuil requis de 1 000 salariés fixé par le code du travail. Mais la Sacem est une société civile, et les sociétés de personnes ne sont pas concernées par la loi. « L’obligation de nommer des représentants salariés est circonscrite aux sociétés de capitaux, donc celles qui ont obligation d’avoir un conseil d’administration », expliquent Camille Gaillard et Louise Bollache, deux consultantes du cabinet Syndex qui accompagnent l’équipe CFDT sur l’ensemble de ses dossiers. La Sacem se trouve donc dans une situation juridique inédite : elle dispose d’un conseil d’administration mais ne peut désigner de représentants des salariés.

Mickaël Cossais est élu du comité social et économique et délégué syndical du réseau domicilié en Bretagne. Sylvie Frayon est également élue du CSE, secrétaire de section CFDT et déléguée syndicale du siège de la Sacem.
Mickaël Cossais est élu du comité social et économique et délégué syndical du réseau domicilié en Bretagne. Sylvie Frayon est également élue du CSE, secrétaire de section CFDT et déléguée syndicale du siège de la Sacem.© DR

« Grandes oubliées, les sociétés civiles sont dans l’angle mort du législateur, tout comme l’étaient les mutuelles, unions et fédérations jusqu’en 2019. Pour ces entreprises, la loi Pacte a réparé cet oubli en 2019. Il est temps qu’il le soit également pour les sociétés civiles de plus de 1 000 salariés, donc pour la Sacem », explique Laurent. « Cette niche de droit n’a pas été traitée », confirment les consultantes. Et bien qu’un arrangement ait pu être trouvé en interne – la direction a proposé aux élus du CSE de siéger « en tant qu’observateurs », trois fois par an, aux trois réunions cruciales que sont la clôture d’avril, l’assemblée générale de juin et « l’atterrissage » de novembre –, cette solution reste un pis-aller aux yeux des militants.

Porter la voix des salariés

Car ce n’est pas un simple strapontin que souhaite la CFDT, mais plutôt la possibilité de siéger pleinement ; et de pouvoir réellement porter la voix des salariés. « Beaucoup d’études démontrent les effets positifs de la présence des salariés dans les conseils d’administration, souligne Laurent. Les administrateurs salariés apportent une vision interne, une très bonne connaissance opérationnelle de l’entreprise et de son histoire. Ce sont des compétences qui peuvent participer au développement et à la pérennité de l’entreprise, dont cette dernière se prive en ne leur ouvrant pas la porte. »

2. Ils correspondent aux droits d’auteur collectés mais non payables aux artistes concernés faute d’accords, d’identification des personnes ou de problèmes légaux. Avec le numérique, cette partie de la collecte est drastiquement réduite, selon Syndex.

Or la question du développement et de la pérennité de l’entreprise se pose, justement, de manière aiguë : au cœur de bouleversements profonds du modèle économique (prépondérance du numérique, des plateformes, etc.), la Sacem sort tout juste de la tempête provoquée par la crise du coronavirus, qui s’est traduite par deux années catastrophiques (2020 et 2021) et un vaste plan de transformation. « Les principales sources de revenus du compte de gestion comme les retenues sur droits ou les irrépartissables2 sont sujets à incertitude à l’avenir », pointe Camille Gaillard, de Syndex. Raison de plus pour associer toutes les parties prenantes aux décisions.

“Une contradiction gênante”

À PROPOS DE L’AUTEUREmmanuelle PiratJournaliste

Mais la direction, qui ne l’entend pas de cette oreille, oppose divers arguments : outre une justification juridique (la Sacem n’est pas une société concernée par la loi Pacte), « elle invoque le fait que cela remettrait en cause l’identité de la Sacem, qui a toujours été gérée uniquement par ses sociétaires, précise Laurent. Il y a une contradiction gênante entre un discours récurrent porté par la direction qui préconise le changement, la transformation dans tous les domaines – accompagné d’une injonction aux salariés à être “agiles” – et cette opposition à faire évoluer un mode de gouvernance qui date de 1880 ! ». La section CFDT ne renoncera pas à faire reconnaître la voix des salariés au conseil d’administration et ainsi « faire respecter ce principe de démocratie sociale ».