L’HOMME ARC-EN-CIEL (Juillet 2020)

Le coronavirus n’y est absolument pour rien et, pourtant, nous ne reverrons pas la silhouette si reconnaissable – et, quelque part, si rassurante – de Pâris BOUTTEMENT dans les locaux de la Sacem. C’est en effet le moment qu’il a, bien involontairement, choisi pour tirer sa révérence, comme un ultime pied de nez aux protocoles qui n’ont jamais vraiment été sa tasse de thé. De ce point de vue au moins le monde d’après ne sera pas celui d’avant.

Car nous avions pris l’habitude, depuis le temps, de le croiser vêtu de ses impayables T-shirts dédiés, selon l’humeur, à la gloire de Bob Marley ou de Jim Morrison, à la protection des pandas, voire aux charmes de l’Île de Ré. Mais, dès que l’occasion s’en présentait, il n’hésitait pas à les recouvrir illico d’un fort éclatant gilet orange proclamant, pour qui l’ignorait encore, son indéfectible engagement à la CFDT. Qu’elle soit nationale, locale, sectorielle ou interne à la Sacem, qu’il soit question de temps de travail, de protection sociale ou de taux du point, une juste lutte méritait toujours d’être mise en exergue, le gilet orange servant alors à la fois de drapeau, de banderole et de point de ralliement.

Mais cela est cependant un peu trop réducteur. Car des gilets, Pâris aurait pu en porter -et sans doute, d’ailleurs, l’a-t-il parfois fait…- de bien d’autres couleurs. On pense bien sûr, tout de suite, aux gilets jaunes dont il relaya dans un premier temps la cause avant de prendre ses distances devant les impasses auxquelles conduit le refus de toute structuration.

Pourtant, dans sa prime jeunesse, c’est plutôt affublé d’un gilet noir qu’on aurait pu le croiser, alors qu’il naviguait entre les diverses mouvances libertaires de l’après-68.  A-t-il pour autant fait sienne, à cette époque, la fameuse maxime « La propriété, c’est le vol ! », lui qui deviendra, peu de temps après, un défenseur déterminé de… la propriété intellectuelle ? On en doute un peu, bien persuadés que sa conception de l’Anarchie a été beaucoup plus influencée par Brassens et Ferré que par Proudhon et Bakounine.

Un autre habit que Pâris aurait mérité de revêtir, vu ses talents de médiateur et de conciliateur, c’est bien le gilet bleu, complété du casque de la même couleur. Quiconque l’a vu s’ingénier à désamorcer un conflit naissant dans un service, déjouer la sanction – au départ inéluctable – d’un collègue dans le bureau du DRH, s’interposer au milieu d’une volée d’horions sur le trottoir, parlementer avec les CRS au cours d’une manifestation un peu chaude,… a pu imaginer la brillante carrière qu’il aurait pu faire au sein de l’ONU.

N’oublions pas non plus le gilet rouge (ou peut-être même, blanc à croix rouge) qu’il devait arborer à l’époque où il plongeait dans la Seine avec des chiens pour s’entraîner au sauvetage des noyés. Le rouge, aussi, de ses saines et saintes colères, par exemple pour vouer aux gémonies tous ceux qui abusent des anglicismes et des formules absconses de la novlangue.  

Enfin, le gilet vert qu’il portera désormais de plus en plus souvent. Car, après s’être entraîné toutes ces dernières années en végétalisant le patio du Comité d’Entreprise (désormais CSE), le voilà aujourd’hui pris d’une nouvelle passion pour les arbres de son refuge du Loir-et-Cher. Parions qu’il aura à cœur de les bichonner avec la même méticulosité et la même détermination que celles qu’il a mis, durant trois décennies, dans ses fonctions de représentant du personnel.

Aussi, s’il vous arrive un jour de croiser, au détour d’une rue ou d’un chemin, un retraité heureux portant un seyant gilet aux couleurs de l’arc-en-ciel, n’hésitez pas à le héler… A coup sûr, ce sera lui !